Les Formidables Aventures de Lapinot de Lewis Trondheim
Il y a deux types de « Lapinot » : ceux qui racontent une même histoire avec les mêmes personnages (« slaloms », « pichenettes », « amour et intérim », « pour de vrai », « la couleur de l’Enfer » et « la vie comme elle vient ») et ceux qui se situent à une autre époque, qui sont totalement indépendants de tout le reste et qui imitent/parodient un genre (« Blacktown », « Walter », « vacances de printemps », « l’accélérateur atomique » plus des œuvres plus anciennes, « Mildiou », etc.) « Blacktown » est un western.
Lapinot débarque à Blacktown poursuivi par une bande de hors-la-loi. Mais personne ne se soucie vraiment de cet étranger. Quand un poivrot braillard entre dans le saloon avec de l’or, le maire décide de faire boucler la ville par le shérif (de droit présidentiel comme d’autres étaient de droit divin) pour éviter que les habitants n’aillent chercher le filon dans les collines. Bien évidemment les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air et bien des personnages ont des arrière-pensées et tentent de tirer leur épingle dorée du jeu.
« Blacktown » est la rencontre entre un lapin civilisé qui retourne à l’état sauvage pour ne plus se faire marcher sur les pieds et des cow-boys sauvages qui adoptent un vernis de culture pour les beaux yeux de Miss Pacard. Richard (plus intelligent que jamais) vainc des hommes armés par la simple force de son raisonnement et de sa logique. Les méchants cherchent à définir la poésie comme les invités du « banquet » de Platon cherchaient à définir l’amour. Le maire qui cherche à profiter de sa position et le shérif bête et prétentieux qui invoque perpétuellement le président des Etats-Unis mais n’applique que la loi du plus fort complètent la série de portraits. Il s’agit d’une parodie de western où l’homme armé doit fuir devant le désarmé, où maire et shérif censés représenter l’ordre et la loi ne représentent qu’eux-mêmes. « Blacktown » est une réussite, une parodie de western plutôt subtile.
Tome 9
Ce livre est un hommage de l’auteur à Spirou et à ses créateurs. Ça se voit au premier coup d’oeil : Lapinot arbore le légendaire costume de groom, et un écureuil le suit partout — le genre de modèle à queue courte et longues oreilles qui laisse à penser que Trondheim préfère décidément les lapins. Et puis Lapinot et son copain journaliste — fraîchement débarqué des Tropiques avec une dent fêlée pour cause de rencontre avec une perle dans un coquillage — vivent une aventure débridée, incluant des machines mystérieuses, des hommes invisibles, quelques cinglés (bons ou méchants) et un troupeau de crétins (la police). Sans oublier le savant fou. En l’occurrence, un homme » honnête » et non-violent — sa moche cicatrice sur la joue, c’est juste une chute de balançoire quand il avait huit ans — qui vole des diamants pour financer un projet susceptible de sauver l’humanité : un accélérateur atomique qui multiplie la vitesse par mille. (Nous ne dévoilerons pas ici l’aspect salvateur de l’invention.) Mais en attendant, sa machine a un défaut : les gens qui l’utilisent ont tendance à disparaître. L’autre problème, c’est que Lapinot et son copain se retrouvent accusés de tentative de meurtre sur policier, d’évasion, de destruction de véhicule public, etc. Tout ça pour une dent fêlée, Trondheim ayant le don de faire déraper les broutilles vers de désastreuses complications.
Et si cette version revisitée (avec l’aimable autorisation des éditions Dupuis) des aventures de Spirou nous replonge dans nos souvenirs d’enfance, elle est totalement habitée par Trondheim, son humour décalé et son sens de la dérision.
L’auteur
Lewis Trondheim